Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : prévention des chutes chez les patients âgés, la méthode FRESCO pour le suivi de l'état clinique du patient, transitions dans le parcours de soins et erreurs médicamenteuses, éducation sanitaire des patients...
Ces auteurs de la Côte ouest américaine partent du constat de variations significatives de qualité dans la chirurgie du dos selon les hôpitaux et forment l’hypothèse que ces différences sont liées à l’expérience des chirurgiens.
Ils proposent une étude rétrospective 2017-2019 des résultats de la chirurgie des maladies dégénératives du bas du dos, effectuées dans plusieurs grands centres d’orthopédie de leur région. Les résultats cliniques à court terme (complications majeures, réhospitalisations à 30 jours) sont comparés à l’expérience du chirurgien (formation de départ, orthopédiste vs neurochirurgie, nombre d’années de pratique, niveau atteint dans la carrière, volume de pratique).
La cohorte de résultats portent sur 89 chirurgiens ayant effectués 2 481 opérations dans le cadre retenu (chirurgie dégénérative du bas du dos).
L’utilisation d’arthrodèse/implant vertébraux de stabilisation (instrumental fusion) s’avère très variable selon les chirurgiens (de 0 à 100 %). Le taux de complications varie de 0 à 25 % pour les scolioses et de 0 à 14 % pour les spondylolisthésis. Pour les scolioses, les chirurgiens orthopédistes ont plus de facilité que les neurochirurgiens à réaliser des arthrodèses et des fusions, ce qui renvoie à leur formation plus orientée par leurs pairs vers ses techniques. Sans surprise, les chirurgiens avec un volume plus important de pratique utilisent aussi mieux ces techniques et ont moins de complications.
Au total, l’étude montre la variété de performance inter-chirurgiens y compris dans le même centre hospitalier, renvoyant notamment à porter une attention particulière sur leur formation, et sur l’intérêt d’évaluer leurs habilités et techniques à plusieurs étapes de carrière pour mieux les accompagner.
Ces auteurs australiens proposent une revue de question sur l’identification et la prédiction des plaintes patients envers certains professionnels de santé.
La revue porte sur tous les articles couvrant le sujet et publiés en anglais jusqu’en septembre 2021.
5 473 articles ont été identifiés en connexion au sujet, pour se réduire à seulement 81 articles inclus dans la revue et répondant aux critères d’éligibilité et de qualité fixés par les auteurs.
Trois thèmes ressortent de l’analyse :
Les résultats soulignent surtout la complexité et l’intrication des multiples facteurs en cause, avec des effets contextuels majeurs, si bien qu’il est difficile d’extraire de ces études un profil type à risque et une stratégie unique d’anticipation et de prévention. On peut toutefois citer pêle-mêle parmi les facteurs :
La revue rappelle aussi qu’il existe déjà plusieurs systèmes proposés pour prédire et anticiper ces risques, notamment le CPPA PARS, database américain qui dresse un profil de risque individualisé pour chaque praticien de l’hôpital, permettant de prendre des mesures pour ceux qui sont le plus à risques.
Les australiens proposent de leur côté le Predicted Risk of New Event (PRONE) score, qui se base sur 4 prédicteurs pour anticiper les risques (spécialité, sexe, plaintes précédentes et temps écoulé depuis la dernière plainte). Cet outil a même été amélioré en 2019 pour devenir le PRONE HP (PRONE for Health Practitionner) qui incorpore deux dimensions complémentaires : le lieu de rencontre avec les patients/type d’hôpital et le rendu du traitement des plaintes anciennes (déboutées, ou indemnisés/reconnues fautives).
Plusieurs pays ont mis en place des pénalités financières pour les hôpitaux ayant de mauvais résultats, notamment en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Pour autant, la littérature reste confuse sur le bénéfice réel sur la aualité des soins de ces pénalités.
Cette étude américaine compare les effets de ces pénalités prononcées en 2018-2019 sur différents types d’hôpitaux, particulièrement en matière de lutte contre les infections nosocomiales.
Au total, 3 123 hôpitaux américains sont inclus dans l’analyse sur la période, avec des hôpitaux qui ont été pénalisés et d’autres non. Les hôpitaux qui ont eu des pénalités répétées montrent les meilleurs scores d’amélioration du risque nosocomial. Les impacts sont plus importants dans les petits hôpitaux (< 100 lits), mais sont aussi plus réduits, voire annulés, dès lors que l’établissement est déjà en crise financière.
Les études montrent donc que les pénalités répétées ont plutôt un effet bénéfique sur la réduction du risque tout en soulignant l’effet pervers de pénalités sur des établissements déjà en fragilité financière, qui aggravent leur cas plus qu’ils ne l’aident.
Les chutes concernent 14 millions de citoyens américains de plus de 65 ans chaque année, avec leur lot de conséquences plus ou moins dramatiques, physiques, de dépendance, aggravée et économiques.
Les chutes dans les communautés médicales de personnes âgées/maisons de retraite sont le plus souvent associées à des désordres orthostatiques, hypotensions, problèmes de perception, médicaments et divers problèmes environnementaux (tapis, etc).
Les bonnes pratiques recommandent une prévention active pour les patients ayant déjà présenté une chute dans l’année n-1, ceux ayant des facteurs de risques avérés de chute, et ceux se déplaçant difficilement.
Une méta-analyse basée sur 59 essais cliniques randomisés sur des patients à risque et haut-risque de chute montre qu’un programme de prévention spécifique ramène le taux de chutes à 655 chutes pour 1 000 patients/an contre 850/1 000 patients/an dans le groupe sans prévention dédiée.
Dans une autre méta-analyse conduite sur 43 essais cliniques sur des patients à haut risques de chute, une intervention préventive multidimensionnelle a été associée à 1 784 chutes/1 000 patients an contre 2 317 chutes dans le groupe témoin sans intervention.
Plusieurs interventions réduisent le risque, comme le traitement de cataractes, interventions podologiques et des modifications environnementales.
Par contre, l’arrêt de médicaments n’est pas significativement associé à la réduction des chutes, et ce, même si la réduction des prescriptions chez la personne âgée relève d’une bonne pratique.
L’information et l’éducation des citoyens et patients sur les affaires sanitaires est considérée comme une force potentielle pour lutter contre les désinformations croissantes publiées sur la santé et la masse croissante de soins inutiles et non pertinents.
Mais on sait peu de choses de la réalité de cette éducation et de son impact réel.
Cette revue de littérature conduite par des auteurs australiens résume les acquis. Elle porte sur 20 études ayant abordé le sujet, en provenance des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie pour l’essentiel. La plupart de ces études sont ciblées sur une spécialité.
Les résultats sont décevants. Ils montrent un manque de preuve du lien entre des actions d’éducation sanitaire du public et la réduction des abus et mauvaises pratiques médicales par les professionnels de santé.
D’autres interventions seront à considérer dans le futur.
Les heures de travail ouvertes aux patients des médecins sont à la fois une donnée essentielle de qualité de vie et une clé de l’accès aux soins. La façon de bien les planifier est essentielle pour le bénéfice de tous.
Cette étude évalue l’évolution dans le temps de 1987 à 2021 de ces heures ouvertes aux patients.
Globalement, les heures de travail hebdomadaires consacrées aux patients des médecins canadiens sont restées stables entre 1987 et 1997, puis ont diminué de 6,9 h/semaine pour passer de 52,8 heures dans la période 1987-1991 à 45,9 heures dans la période 2017-2021. Les médecins hommes ont ralenti notablement après 1997, rejoignant le temps de travail moyen des médecins femmes qui était resté plutôt en plateau à 45 h/semaine.
Les heures de travail des médecins mariés ont décliné significativement de 7,4 h/semaine (p = 0.001), bien plus que pour les médecins non mariés (réduction de 2,2 h/s) (p = 0.3).
Le Covid a joué le rôle d’une parenthèse, les médecins revenant pendant la pandémie aux horaires avant Covid, plutôt plus vers le plus que vers le moins travaillé.
Globalement encore, cette réduction du temps de travail s’est accompagnée d’une revalorisation des actes qui a suivi le chemin inverse et a clairement augmenté sur la même période.
Ces résultats sur le long terme montrent un clair changement de préférence de travail des médecins canadiens, cherchant plus de temps libre et privé que jadis. Cette donnée doit être prise en compte dans le recrutement et remplacement des générations à venir, surtout si la tendance continue à s’amplifier, ce qui n’est pas sans poser d’autres questions sur l’attractivité de la profession.
L’ajustement à faire peut être tout à fait conséquent quand il est ramené au nombre total de médecins. Ce paradoxe se lit déjà puisque le nombre absolu de médecins en situation de travail a (nettement) augmenté sur la même période au Canada alors que la disponibilité absolue aux patients s’est réduite.
Rappelons évidemment que ce temps de travail joue directement sur la qualité de l’accès aux soins pour les patients. Ce point renvoie aussi à une ambiguïté récurrente dans le calcul des heures de travail entre heures totales de travail et heures réellement consacrées aux soins, avec un poids croissant du temps administratif qui réduit encore la disponibilité clinique.
Un sujet brûlant, et pas que canadien….
Les outils de suivi de l’état clinique sont légion en pratique médicale. Ils font le plus souvent appel à du suivi et traçage dans un tableau de résultats renvoyant à une grille de lecture fournissant des recommandations sur les décisions cliniques à prendre selon le résultat. Pour autant, cette profusion d’outils ne signifie pas bonne qualité, ni facilité d’utilisation et il faut reconnaître que les recommandations de bonne rédaction sont plutôt rares.
Ces auteurs anglais de Cambridge proposent un cadre de référence appelé FRESCO pour répondre à ce manque (FRamework for co-dESign of Clinical practice tOols). Ce cadre propose une démarche en 5 étapes :
Cette méthode a été appliquée à un outil de suivi et tableau de prévention de souffrance fœtale à l’accouchement. L’approche a commencé par la constitution d’un groupe de 22 professionnels de métiers divers. Les évaluations partagées "à voix haute" ont été conduites par 15 de ces 22 personnels pour aboutir à un premier prototype. Ce prototype a été par la suite testé par 52 professionnels dans 6 maternités, pour donner lieu à 6 ateliers de debriefing, corrections et production d’un prototype définitif qui est entré en évaluation officielle à large échelle.
Les recommandations pour les cathétérismes cardiaques, particulièrement pour les angiographies coronariennes chez des patients asymptomatiques laissent l’acte largement à la discrétion des professionnels, ce qui donne évidemment lieu à une très grande dispersion de pratiques et un très grand nombre d’examens "normaux".
La surutilisation de ces techniques chez des patients asymptomatiques (sans douleurs thoraciques) est une source de non-qualité, avec des risques inutiles d’événements indésirables et un surcoût pour le système de santé.
L’équipe de cardiologues auteurs de cet article, travaillant dans le New Brunswick aux États-Unis, propose une analyse rétrospective régionale étalée sur 20 ans (1994-2014) destinée à mieux évaluer les causes à ces mauvaises pratiques, en prenant en compte les éléments démographiques, socio-économiques et géographiques.
Un total de 107 795 patients asymptomatiques au moment de l’examen, recueilli sur 20 ans, provient du registre régional des maladies cardiaques (base de l’état du New Brunswixk – Myocardial Infarction Data Acquisition System).
Les dossiers sont répartis en deux groupes :
Les résultats montrent une différence de traitement selon la couleur de la peau : les patients blancs ont plus souvent une prescription d’AC (19,7 % vs 5,6 % pour les patients a peau noire). On note aussi un effet hôpital, plus le patient va dans un grand hôpital, plus il a de chance d’avoir une prescription d’AC (12,5 % pour une grand hôpital régional vs 9,7 % dans un hôpital local, et 8,9 % dans un petit hôpital rural). C’est encore plus vrai avec un CHU vs un centre spécialisé périphérique (16,1 % vs 9,1 %). Enfin, les patients bien assurés se voient plus facilement prescrire l’examen d’AC (13,7 % Vs 6 %)
Un programme type de formation à la sécurité du patient a été proposé par l’OMS en 2011, et traduit dans de très nombreuses langues. Il était censé grandement faciliter l’intégration de ces formations dans les cursus ab initio et de spécialités des infirmiers.
Pour autant, et à l’exception de quelques rares pays, pratiquement aucun pays dans le monde n’a incorporé ces connaissances dans leurs formations d’infirmiers.
Cette revue de littérature est proposée par ces auteurs sri lankais. Elle porte sur 22 articles publiés en anglais de 2011 à 2022 satisfaisant aux critères de qualité fixés par les auteurs.
Elle montre que cette intégration relève de 5 défis majeurs : les types généraux de formation, l’administration, la structure des programmes, le background et curriculum des professeurs, et les "trous" ressentis entre théories et pratiques. À cela s’ajoutent 17 autres défis en lien avec la façon d’enseigner.
Plusieurs récentes estimations congruentes évaluent à environ 1,8 millions le nombre d’erreurs médicamenteuses lors des transitions du patient anglais entre hôpitaux, et entre hôpitaux et soins primaires.
Ces chiffres concernent 380 000 patients. Ces erreurs ont eu des conséquences pour 31 500 d’entre eux, avec notamment 36 500 journées hospitalières facturées en plus (un surcoût de £17,8 millions) et, au final, 40 décès directement liés.
Pour réduire ce risque, cette équipe anglaise de Manchester évalue le bénéfice d’un nouveau système informatique de prescription médicamenteuse qui serait rendu accessible - et interopérable pour les prescriptions - à tous les médecins du NHS anglais.
Cette évaluation (basée sur une méthode largement probabilistique) escompte un gain à la clé de réduction d’erreurs de 10 à 50 %, autorisant aussi des sorties des hôpitaux plus rapides et une optimisation globale.
Le résultat reste potentiel, mais l’article présente un très bon état de l’art sur les erreurs lors des transitions inter-hospitalières et entre hôpitaux et soins primaires, ce qui explique sûrement son acception dans la revue.